Le train filait à vive allure au c?ur des montagnes, traversant la légendaire cordillère de Tempelune, réputée pour être les plus hautes du continent. Ces sommets, si vertigineux que certains murmurent que les dieux eux-mêmes y résident, offraient à Mero un spectacle qui défiait l’imagination. Le convoi de l’Empire, imposant et moderne, semblait glisser sur des rails taillés dans l’éternité, tandis que, par la grande baie vitrée de sa cabine, Mero contemplait un panorama d’une beauté saisissante.
Devant lui, les montagnes de Tempelune se dressaient majestueusement, leurs cimes effleurant presque les nuages. La neige éternelle recouvrait les sommets d’un manteau étincelant sous les premiers rayons du soleil, transformant chaque pic en un joyau de lumière. Les parois rocheuses, abruptes et imposantes, s’élevaient en défi à la gravité, tandis que de minces rivières, semblables à des rubans d’argent, se frayaient un chemin dans les crevasses et les vallées profondes. L’air, pur et presque glacé, embaumait l’atmosphère d’un parfum subtil de pierre et de glace, renforcé par une légère brume qui s’élevait des cimes pour envelopper les montagnes d’un voile de mystère.
Mero sentit un frisson parcourir son échine en écoutant en silence les légendes qui accompagnaient ces terres. On racontait que ceux qui traversaient ces montagnes avec un respect sincère se voyaient bénis par la bienveillance des divinités, tandis que d’autres avertissaient qu’un faux pas pouvait éveiller la colère des esprits ancestraux. Quoi qu’il en f?t, pour l’héritier du tr?ne de Sel, ce voyage était bien plus qu’un simple déplacement : c’était une communion avec la nature brute et intemporelle, une méditation sur la fragilité et la grandeur de l’existence.
Alors que le train serpentait toujours plus haut, gravissant des pentes vertigineuses et longant des précipices insondables, Mero ne pouvait s’empêcher de se sentir minuscule face à l’immensité de ce décor naturel. L’homme, forgé par les obligations de la cour impériale et les traditions ancestrales, se retrouvait ici confronté à une nature sauvage et indomptable, où chaque instant semblait suspendu dans le temps. Ce moment d’émerveillement était d’autant plus précieux qu’il contrastait avec la vie souvent rigide et codifiée qu’il menait au sein de l’Empire.
Soudain, une voix douce parvint à ses oreilles, brisant le silence méditatif. Le serviteur attitré de la compagnie de train, vêtu d’un uniforme impeccable, lui fit remarquer que, si Mero appréciait cette vue grandiose, il pourrait sans doute trouver son bonheur dans la galerie d’art aménagée dans le wagon-bibliothèque. Un nouveau style artistique, le romantisme, semblait conquérir les esprits éclairés des voyageurs de l’Empire. Intrigué par cette suggestion, Mero décida de se rendre dans ce compartiment où l’art se mêlait au voyage.
En traversant les wagons luxueux, décorés de boiseries élégantes et de tapis raffinés, Mero ressentit une excitation particulière. Le romantisme, mouvement qui exaltait la passion, le sublime et la mélancolie, lui était encore étranger, mais le simple écho de son nom évoquait une intensité d’émotions qu’il avait rarement connue dans le monde rigide des affaires impériales. L’atmosphère qui régnait dans le wagon-bibliothèque était à la fois feutrée et inspirante. Une douce odeur de bois ciré et de papier ancien se mêlait à la lumière tamisée filtrée par de lourds rideaux de velours, créant un cocon propice à la rêverie et à la contemplation.
Les murs étaient ornés de toiles soigneusement encadrées, chacune semblant raconter une histoire à la fois intime et universelle. Des fauteuils confortables, disposés ici et là, invitaient les passagers à s’asseoir pour admirer ces ?uvres d’art, comme pour offrir une parenthèse de douceur au c?ur de ce voyage mouvementé. Mero s’approcha de la première toile, une peinture saisissante représentant un navire luttant contre une tempête furieuse. Des vagues gigantesques se fracassaient contre sa coque tandis qu’un ciel noir, zébré d’éclairs, dominait la scène. Pourtant, au loin, une percée de lumière laissait entrevoir un espoir ténu. L’émotion brute qui émanait de la scène, la lutte désespérée de l’homme face aux forces implacables de la nature, fit vibrer en lui une corde sensible, rappelant ses propres batailles intérieures.
Plus loin, une autre toile attira son regard. Celle-ci représentait un paysage de montagne, d’une ressemblance troublante avec la cordillère de Tempelune qu’il traversait. Au sommet d’un pic isolé, un voyageur solitaire se tenait, contemplant un horizon infini. Son manteau, soulevé par un vent invisible, semblait témoigner d’une quête intérieure, d’un désir inassouvi d’absolu. Mero se sentit profondément interpellé par cette image, comme si, dans la posture du voyageur, il reconnaissait un fragment de sa propre ame en quête de liberté et d’émancipation.
Le romantisme, avec sa volonté de transcender la simple représentation du monde pour en capturer l’ame, paraissait ici revêtir toutes ses nuances. Chaque tableau, chaque coup de pinceau, semblait murmurer une histoire différente, une légende personnelle qui parlait d’amour, de douleur et d’espoir. Mero resta ainsi, immobile, pendant de longues minutes, absorbé par la contemplation de ces ?uvres. Il sentit en elles une familiarité étrange, comme si elles faisaient écho à ses propres sentiments, à ses luttes et à ses rêves. L’art, dans sa forme la plus brute, devenait pour lui une sorte de miroir où se reflétaient ses propres contradictions et aspirations.
Alors qu’il parcourait la galerie, un tableau en particulier attira son attention. Il représentait une mer d’un bleu profond, sous un ciel orageux, dans laquelle un unique navire fendait les flots avec une détermination farouche. à la proue, un homme se tenait, le visage dissimulé sous l’ombre de son chapeau, mais dont la posture exprimait une force inébranlable. Mero ne put s’empêcher de se voir en cet homme, symbole de sa propre lutte contre les tempêtes de la vie, qu’elles soient intérieures ou extérieures. Le tableau évoquait pour lui le courage et la persévérance, des qualités qu’il s’effor?ait de cultiver malgré les obstacles qui se dressaient sur sa route.
Un léger raclement de gorge le tira de sa méditation. Un homme d’age m?r, vêtu avec une élégance discrète, se tenait non loin de lui et l’observait avec une curiosité bienveillante. D’une voix posée, l’homme lui adressa la parole :
This tale has been unlawfully obtained from Royal Road. If you discover it on Amazon, kindly report it.
? Ces peintures semblent vous captiver, jeune homme. êtes-vous un amateur d’art, ou bien est-ce la première fois que vous contemplez de telles ?uvres ? ?
Mero, légèrement surpris par cette interruption, répondit d’une voix calme et mesurée, tout en laissant transpara?tre son intérêt sincère pour le sujet. L’homme, esquissant un sourire entendu, poursuivit :
? La compagnie de train expose ces ?uvres non seulement pour le plaisir des voyageurs, mais également pour satisfaire les amateurs éclairés qui souhaitent acquérir une pièce unique. ?
Il désigna alors, du bout de son doigt, un petit panneau placé à c?té de chaque tableau. ? Les ?uvres portant un sceau doré appartiennent à la collection privée du mécène de la compagnie et ne sont pas à vendre. En revanche, celles marquées d’un sceau argenté peuvent être acquises. ?
Le regard de Mero se porta de nouveau sur le tableau du navire solitaire, où un sceau argenté brillait discrètement dans le coin inférieur. Intrigué, il se tourna vers l’homme et demanda :
? Et combien pour cette toile ? ?
L’homme ajusta ses gants d’un geste précis et répondit d’une voix assurée :
? Ce chef-d’?uvre, ?uvre d’un artiste prometteur inspiré des grandes traditions du romantisme, est proposé au prix de 150 piastres. ?
Bien que le montant f?t conséquent, Mero sentit en lui l’appel irrésistible de posséder une ?uvre aussi évocatrice. Pourtant, une question subsistait : souhaitait-il réellement l’acquérir, ou préférait-il la garder en mémoire comme un symbole de son voyage intérieur ?
D’un ton réfléchi, il intervint en demandant également des nouvelles de la peinture représentant les montagnes. L’homme suivit alors son regard vers une ?uvre où une cha?ne de montagnes majestueuses, baignée dans une lumière dorée presque irréelle, s’étendait à l’infini.
? Ah, celle-ci… ? dit-il en ajustant ses lunettes, ? est une interprétation sublime des montagnes de Tempelune, réalisée par un artiste local. Elle est proposée à 120 piastres. ?
Il marqua une pause, laissant à Mero le temps de contempler l’image, avant d’ajouter :
? Cette toile capture à merveille l’immensité et la spiritualité que l’on prête à ces sommets. C’est une ?uvre idéale pour quelqu’un qui apprécie la grandeur de la nature. ?
Face à cette double tentation, Mero prit une décision qui trahissait à la fois son ambition et son amour pour l’art.
? Je prendrai les deux, ? déclara-t-il avec une assurance tranquille, ? et je vous prie de les envoyer au wagon royal. ?
L’homme inclina légèrement la tête, visiblement impressionné par la décision de l’héritier, et griffonna quelques notes sur son carnet avant de faire signe à un assistant qui s’empressa d’emballer les toiles avec le plus grand soin.
? Un excellent choix, Votre Altesse, ? ajouta-t-il avec respect, ? et si d’autres désirs artistiques devaient na?tre à l’avenir, sachez que notre compagnie collabore avec de nombreux galeristes impériaux. Nous serions honorés de vous proposer d’autres ?uvres d’exception. ?
Mero acquies?a poliment, satisfait de son acquisition, et quitta le wagon-bibliothèque le c?ur léger, empli de visions nouvelles et d’espoirs créatifs.
Alors qu’il arpentait à nouveau la bibliothèque, l’esprit encore embué par les émotions que lui avait transmises l’art, Mero ne put s’empêcher d’interroger l’homme sur la vie des artistes exposés.
? Dites-moi, ? demanda-t-il d’une voix empreinte de curiosité, ? ces artistes voyagent-ils souvent ? ?
L’homme, toujours souriant, hocha la tête.
? Certains, oui. Beaucoup sont commandités par des mécènes impériaux ou de grandes maisons aristocratiques et parcourent l’Empire pour capturer des paysages grandioses, des événements marquants ou des portraits de familles nobles. D’autres, plus casaniers, préfèrent travailler dans le calme de leurs ateliers en recevant des commandes à distance. Cependant, il n’est pas rare que quelques-uns embarquent sur des trains comme celui-ci, à la recherche de nouvelles inspirations ou pour exposer leurs ?uvres. ?
Il marqua une courte pause avant d’ajouter avec une pointe d’enthousiasme :
? Si Votre Altesse souhaite rencontrer un artiste en particulier, je pourrais sans doute organiser une rencontre lors de votre séjour à Mor ou ailleurs. L’art et la noblesse ont toujours entretenu des liens étroits, n’est-ce pas ? ?
Mero, le regard brillant d’anticipation, répondit :
? J’aimerais en effet rencontrer un artiste capable de voyager jusqu’à l’autre bout du monde pour capturer de nouveaux horizons. ?
L’homme s’inclina légèrement, manifestant son approbation :
? Je ferai passer le mot, Votre Altesse. Un artiste prêt à traverser le monde pour immortaliser vos visions serait un défi des plus passionnants. Peut-être en trouverons-nous un à Mor, la capitale attirant de nombreux talents. Sinon, je me renseignerai auprès des cercles artistiques impériaux. ?
Il reprit avec une voix plus basse et posée :
? Auriez-vous une idée précise de ce que vous souhaiteriez qu’il peigne ? Des paysages de votre royaume, des portraits, ou simplement l’essence de vos voyages ? ?
Mero, pensif, répondit simplement :
? Beaucoup de tout. ?
L’homme esquissa un sourire satisfait et déclara :
? Un esprit curieux et ambitieux, voilà qui plaira à certains artistes. Je chercherai un peintre capable de capturer tant la beauté des paysages que la profondeur des ames. Dès que j’aurai un nom, je ferai parvenir l’information à votre entourage. ?
Sur ces mots, l’homme s’inclina à nouveau avant de s’éclipser, laissant Mero seul parmi les toiles, méditant sur la perspective d’avoir un artiste à son service pour immortaliser son parcours et les émotions qui l’habitaient.
Au fil des heures, le temps sembla suspendu, et le train continuait de gravir les montagnes tout en dévoilant au voyageur des panoramas à la fois grandioses et inspirants. Mero, le regard toujours levé vers l’horizon, se laissait bercer par le doux cliquetis des rails et l’harmonie des paysages qui défilaient devant lui. Chaque instant était une invitation à la réflexion, à la rêverie, et à la redécouverte de soi. Les ?uvres d’art qu’il venait d’acquérir résonnaient en lui comme un écho de ses propres aspirations, lui rappelant que la beauté se trouvait partout, même dans les recoins les plus inattendus de l’existence.
Finalement, alors que la nuit enveloppait les montagnes d’un manteau de silence et de mystère, Mero se retira dans sa cabine pour laisser libre cours à ses pensées. Loin du tumulte du monde extérieur, il se sentit en paix, conscient que chaque étape de son voyage le rapprochait un peu plus de la découverte de lui-même et de la compréhension de l’univers qui l’entourait.
Le lendemain, alors que l’aube se levait sur l’Empire, Mero arriva à la capitale. La ville s’étendait à perte de vue : d’un c?té, elle se blottissait contre les flancs imposants des montagnes ancestrales, et de l’autre, elle dévorait la vaste plaine dans une étreinte de modernité et d’espoir, prête à révéler de nouveaux horizons.

